Louis d’Aurelle de Paladines (1804–1877) : parcours d’un général français

Louis d’Aurelle de Paladines (1804–1877) : parcours d’un général français

Introduction

Louis Jean-Baptiste d’Aurelle de Paladines est un général français du XIXe siècle, connu pour son rôle lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Issu d’une vieille famille noble du Gévaudan, il fait carrière sous la monarchie de Juillet, le Second Empire puis la Troisième République naissante. Son fait d’armes le plus célèbre est sans doute la victoire française de Coulmiers en novembre 1870, l’un des rares succès face aux armées prussiennes. Cependant, sa carrière militaire s’étend bien au-delà de 1870 : il a combattu durant la conquête de l’Algérie dans les années 1840, participé à la guerre de Crimée et contribué aux opérations de la campagne d’Italie de 1859. Cette diversité de campagnes fait de lui un témoin privilégié de l’histoire militaire française du milieu du XIXe siècle. Accessible mais rigoureux, cet article retrace la vie de d’Aurelle de Paladines, de ses débuts en Afrique du Nord à sa postérité politique, en s’appuyant sur des sources historiques fiables.

Jeunesse et débuts de carrière

Né le 9 janvier 1804 au Malzieu-Ville en Lozère, Louis d’Aurelle de Paladines se destine très tôt à la carrière des armes. En 1815, à l’âge de 11 ans, il intègre l’école militaire préparatoire de La Flèche, puis réussit le concours de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1822. Il en sort officier subalterne deux ans plus tard : nommé sous-lieutenant au 64e régiment d’infanterie de ligne en 1824, il gravit les premiers échelons sans encombre malgré les bouleversements politiques de l’époque (il devient lieutenant en 1830, peu après la Révolution de Juillet). Promu capitaine en 1834, le jeune officier va bientôt trouver l’occasion de s’illustrer sur un nouveau théâtre d’opérations : l’Algérie.

Campagnes d’Algérie (1841–1850)

Un officier distingué en Afrique du Nord

En septembre 1841, d’Aurelle de Paladines embarque pour l’Algérie, où la France mène alors une intense campagne de conquête coloniale. Durant près de sept années, il participe activement aux expéditions visant à soumettre les résistances menées notamment par l’émir Abd el-Kader. Officier au 64e régiment de ligne, il se distingue par sa bravoure et ses compétences tactiques. Les rapports militaires de l’époque le citeront à cinq reprises pour sa conduite exemplaire au feu. Il est également blessé à la jambe au cours d’un des combats, preuve de son engagement en première ligne. Cette période africaine est marquée pour lui par une progression rapide dans la hiérarchie : il gagne ses galons de chef de bataillon (commandant) en 1843 et reçoit la même année la Légion d’honneur (chevalier) pour faits de guerre. Promu lieutenant-colonel en avril 1847, il quitte l’Algérie en juillet 1848 auréolé d’un solide prestige militaire.

Quelles opérations et quelle implication ?

Les campagnes auxquelles prend part d’Aurelle de Paladines en Algérie correspondent à la phase finale de la conquête coloniale. Sous le commandement du gouverneur général Thomas Bugeaud, l’armée française mène alors une guerre brutale faite de razzias dans l’arrière-pays, de « colonnes infernales » et d’exactions visant à mater toute résistance indigène. D’Aurelle de Paladines, en tant qu’officier subalterne puis chef de bataillon, participe à plusieurs opérations de pacification. Il combat notamment dans l’ouest algérien et en Kabylie, aux côtés de généraux réputés tels que le duc d’Aumale ou Patrice de Mac Mahon. Ses faits d’armes précis sont peu détaillés dans les sources grand public, mais ses multiples citations indiquent une participation valeureuse à des affrontements significatifs de cette période. On peut supposer qu’il fut engagé lors d’expéditions comme celle de la rivière Chéliff (1842) ou lors de la poursuite d’Abd el-Kader dans l’Atlas tellien, sans que son nom ne soit attaché à une bataille célèbre en particulier.

Son nom est-il associé à des massacres ou crimes de guerre ? Contrairement à certains officiers de la conquête (tels que le colonel Pélissier, tristement célèbre pour l’« enfumade » du Dahra en 1845), le général d’Aurelle de Paladines ne semble pas impliqué personnellement dans des actes répréhensibles documentés. Aucune source historique notable ne lui impute un massacre spécifique. Ses biographies mettent surtout en avant ses promotions et décorations glanées en Algérie, sans mention de faits de cruauté particuliers. Cela ne signifie pas que la campagne d’Algérie fut exempte de violences dans son secteur, mais simplement qu’aucun crime de guerre précis ne lui est attribué dans l’historiographie. D’Aurelle de Paladines apparaît davantage comme un officier soucieux de discipline et d’honneur militaire, récompensé pour sa bravoure, dans le contexte général – et impitoyable – de la conquête de l’Algérie.

Retour en Algérie et commandement d’un régiment (1850)

Après un bref passage en France suite à la révolution de 1848, d’Aurelle de Paladines revient en Algérie en 1850 pour y exercer un commandement prestigieux. En mars 1850, il est nommé colonel du régiment de zouaves stationné à Alger, succédant ainsi au colonel Canrobert (futur maréchal). Les zouaves, unité d’infanterie légère d’élite formée initialement de volontaires autochtones et européens, jouent un rôle important dans l’armée d’Afrique. D’Aurelle de Paladines dirige ce régiment jusqu’en décembre 1851. Son retour coïncide avec la fin de la soumission de la Grande Kabylie et les dernières opérations de conquête totale du pays. En poste à Alger, il contribue au maintien de l’ordre colonial et à la consolidation des gains français. Lors du coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte, il fait preuve d’un « zèle remarquable » selon ses supérieurs, en restant loyal aux autorités impériales naissantes. Sa fidélité et son efficacité durant cette période troublée lui valent d’être promu général de brigade le 22 décembre 1851. À la veille de la guerre de Crimée, Louis d’Aurelle de Paladines est donc un officier général expérimenté, fort de deux séjours en Algérie et d’une solide réputation dans l’armée française.

Faits d’armes en Europe : Crimée et Italie

La guerre de Crimée (1854–1855)

Lorsque éclate la guerre de Crimée en 1854 – conflit opposant la France et ses alliés à la Russie impériale – le général d’Aurelle de Paladines est intégré au corps expéditionnaire envoyé en Mer Noire. Il commande la 2e brigade d’infanterie de la division de réserve et s’illustre dès le début de la campagne. Lors de la bataille de l’Alma (20 septembre 1854), première grande victoire alliée en Crimée, il mène ses troupes à l’assaut du stratégique plateau du Télégraphe. Cet acte décisif permet de déloger les forces russes sur ce point élevé : pour s’en être emparé, d’Aurelle de Paladines est fait commandeur de la Légion d’honneur le 21 octobre 1854. Quelques semaines plus tard, pendant la sanglante bataille d’Inkerman (novembre 1854), il participe à la prise des redoutes dites de la « Quarantaine », nouvel exploit tactique. Sa contribution aux opérations de Crimée est couronnée par une promotion au grade de général de division le 17 mars 1855. Il prend alors la tête de la 2e division d’infanterie du corps de réserve et participe, le 8 septembre 1855, à l’assaut final contre Sébastopol, place forte dont la chute scelle la victoire alliée. D’Aurelle de Paladines sort de la guerre de Crimée auréolé de gloire : en deux ans, il a gagné ses étoiles de général et la reconnaissance de ses pairs pour sa conduite héroïque sur le champ de bataille.

La campagne d’Italie (1859)

Après la Crimée, le général d’Aurelle de Paladines continue de servir activement sous le Second Empire, notamment lors de la campagne d’Italie en 1859. Bien que n’étant pas engagé directement sur le front en Lombardie, il joue un rôle logistique important. Chargé du commandement de la division militaire de Marseille en avril 1859, il supervise depuis cette ville le départ des renforts et le ravitaillement vers l’Italie, où Napoléon III mène la guerre contre l’Autriche. Grâce à son sens de l’organisation, les différentes places fortes et armées françaises en Italie reçoivent hommes et vivres en temps voulu sur le théâtre des opérations. La campagne d’Italie (victoires de Magenta et Solférino) s’achève rapidement, et d’Aurelle de Paladines en recueille les honneurs indirects : il est élevé à la dignité de grand-officier de la Légion d’honneur le 28 décembre 1859 pour l’ensemble de sa carrière. Ayant atteint la limite d’âge pour le service actif, il est admis dans la réserve en janvier 1870, après plus de 45 ans au service de la France. Il profite d’une retraite paisible à Lyon… de courte durée, car le destin va de nouveau faire appel à lui lorsque la France est plongée dans un nouveau conflit majeur.

La guerre franco-prussienne de 1870 : gloire et revers

En juillet 1870, la France de Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, mais subit rapidement une série de désastres. Après la défaite de Sedan (2 septembre 1870) et la chute du Second Empire, la jeune Troisième République cherche désespérément des commandants compétents pour organiser la résistance. Bien que retraité de fraîche date, le général d’Aurelle de Paladines est rappelé à l’activité le 17 août 1870. Âgé de 66 ans, ce vétéran au tempérament discipliné va se retrouver à la tête de troupes improvisées, dans un contexte chaotique.

À la tête de l’armée de la Loire

Le gouvernement de la Défense nationale (dirigé par Gambetta depuis Tours) confie à d’Aurelle de Paladines la mission de constituer une armée au sud de la Loire pour faire face aux Prussiens qui menacent Paris. D’abord chargé en septembre 1870 de la 7e division, puis du commandement des divisions territoriales de l’Ouest (15e, 16e et 18e), il est rapidement promu commandant du 15e corps d’armée le 11 octobre. Le 27 octobre, le général organise les forces éparses de volontaires, mobiles et soldats rescapés sous le nom de première armée de la Loire, qu’il dirige en chef à partir de mi-novembre 1870.

Malgré l’impréparation de cette armée improvisée, d’Aurelle de Paladines obtient d’emblée des résultats remarquables. Le 9 novembre 1870, il remporte la bataille de Coulmiers, près d’Orléans, infligeant une défaite retentissante aux troupes bavaroises du général von der Tann. Cette victoire inattendue – la première victoire française significative depuis le début de la guerre – redonne espoir au pays. Les Prussiens évacuent précipitamment la ville d’Orléans, libérée par les troupes de la Loire, et la nouvelle fait grand bruit dans la presse. Acclamé en « sauveur d’Orléans », le général d’Aurelle apparaît alors comme l’homme providentiel capable de renverser le sort du conflit. Le gouvernement de Tours le confirme dans son commandement et Gambetta l’exhorte à marcher sur Paris pour briser le siège prussien.

Entre prudence stratégique et désaveu

Cependant, ce succès à Coulmiers sera suivi d’une période d’inaction relative qui va ternir le tableau. D’Aurelle de Paladines, militaire de l’ancienne école, juge ses troupes mal entraînées et insuffisamment organisées pour exploiter immédiatement la victoire. À la différence de Gambetta, partisan d’une offensive audacieuse vers Paris, le général préfère fortifier ses positions et aguerrir son armée avant de reprendre l’initiative. Il installe son quartier général à Orléans et y cantonne près de 100 000 soldats durant tout le mois de novembre 1870, malgré l’avantage numérique dont il dispose alors sur l’ennemi. Cette prudence – que d’aucuns qualifieront d’excès de lenteur, voire d’inaction coupable – laisse le temps aux armées allemandes de se regrouper. En effet, les renforts prussiens libérés après la capitulation du maréchal Bazaine à Metz convergent vers la Loire. Dès la fin novembre, l’équilibre des forces s’inverse : d’Aurelle de Paladines fait désormais face à des troupes prussiennes bien plus nombreuses et aguerries.

Le 28 novembre 1870, la seconde bataille d’envergure a lieu à Beaune-la-Rolande, au nord-est d’Orléans. Cette fois, l’armée de la Loire échoue à percer les lignes prussiennes et subit de lourdes pertes : c’est une défaite française sévère. Dans la foulée, les Allemands passent à l’offensive générale. D’Aurelle tente de défendre Orléans lors d’une nouvelle attaque début décembre, mais la ville est reprise par l’ennemi le 4 décembre. Contraint de replier ses forces en Sologne, le général ne peut empêcher l’éclatement de son armée désormais divisée en deux groupes (l’un confié au général Chanzy, l’autre au général Bourbaki).

Face à cette situation, Gambetta et les autorités de la Défense nationale perdent confiance en d’Aurelle de Paladines. On lui reproche ouvertement son immobilisme après Coulmiers et son manque de combativité. Le 7 décembre 1870, le gouvernement le relève de son commandement : d’Aurelle est officiellement mis en disponibilité, remplacé à la tête de l’Armée de la Loire par le dynamique général Chanzy. On lui offre un poste sans envergure (commandant le camp retranché de Cherbourg), qu’il décline. Amer, le général d’Aurelle de Paladines quitte alors l’armée active, convaincu d’avoir été sacrifié pour des raisons autant politiques que militaires.

Après 1870 : de la politique à la postérité

De Versailles à l’Assemblée nationale

Malgré cette éviction, d’Aurelle de Paladines va encore jouer un rôle lors des soubresauts qui suivent la guerre. En mars 1871, Adolphe Thiers – chef du pouvoir exécutif – le nomme commandant en chef de la Garde nationale de Paris, dans un contexte explosif. C’est lui qui est chargé de récupérer les canons entreposés sur la butte Montmartre le 18 mars 1871, action qui déclenche l’insurrection de la Commune de Paris. N’ayant pas les moyens d’empêcher le soulèvement, d’Aurelle se replie à Versailles avec les troupes gouvernementales. Son commandement de la Garde nationale prend fin de facto ce jour-là, et l’armée régulière sera ensuite engagée pour réprimer la Commune sans qu’il y participe directement.

Parallèlement, le général entame une carrière politique. Élu député en 1871, il siège à l’Assemblée nationale pour le département de l’Allier. Monarchiste légitimiste convaincu (partisan du comte de Chambord), il fait partie des hauts gradés consultés lors des négociations du traité de paix avec l’Allemagne victorieuse. En 1872, d’Aurelle de Paladines prend sa retraite militaire définitive avec le grade de grand-croix de la Légion d’honneur, mais reste une figure respectée du nouveau régime. En 1875, il est nommé sénateur inamovible (sénateur à vie) de la Troisième République naissante. Âgé et fidèle à ses convictions royalistes, il soutient au Sénat la majorité conservatrice de l’Ordre moral en 1876. Il s’éteint le 17 décembre 1877 à Versailles, à 73 ans, clôturant ainsi une existence bien remplie.

Réputation historique et hommages

Comment l’histoire a-t-elle retenu le général d’Aurelle de Paladines ? Son héritage est contrasté. D’un côté, les historiens reconnaissent en lui un officier intègre et méthodique, au parcours exemplaire. Ses mémoires publiés en 1872, La Première Armée de la Loire, révèlent un militaire rigoureux, imputant l’échec de 1870 à « l’ingérence du pouvoir civil dans les opérations » et à l’indiscipline inhérente à une armée improvisée. Ce point de vue souligne son attachement à la discipline et à la préparation, valeurs acquises durant ses longues années de service. D’Aurelle de Paladines a incarné en 1870 le professionnalisme de l’ancienne armée face à l’enthousiasme brouillon des volontaires de la Défense nationale – un choc de cultures militaires qui explique en partie ses démêlés avec Gambetta.

D’un autre côté, son image a souffert de la comparaison avec d’autres généraux de 1870-1871. Moins offensif qu’un Chanzy ou qu’un Faidherbe, moins charismatique qu’un Gambetta, il a parfois été jugé sévèrement pour son attentisme après Coulmiers. Néanmoins, son nom reste associé à l’idée d’avoir « sauvé l’honneur » de la France durant la débâcle de 1870. Au Panthéon de Paris, une inscription rend hommage aux principaux chefs militaires de cette sombre époque : « À la mémoire des généraux d’Aurelle de Paladines, Chanzy et Faidherbe, […] des officiers et soldats […] qui en 1870-1871 ont sauvé l’honneur de la France ». C’est à sa victoire de Coulmiers qu’il doit cet honneur particulier d’être cité dans ce sanctuaire de la Patrie. Par ailleurs, plusieurs voies publiques portent son nom, signe d’une postérité nationale : un boulevard d’Aurelle-de-Paladines existe à Paris (17e arrondissement) depuis 1930, ainsi qu’à Nantes et dans sa Lozère natale.

En définitive, Louis d’Aurelle de Paladines apparaît comme un héros modeste de l’histoire militaire française. Acteur des conquêtes coloniales, vétéran des grandes guerres du Second Empire et éphémère vainqueur de 1870, il a connu à la fois la gloire et le revers. Son parcours illustre les défis d’une époque de transition, où les traditions de l’armée régulière durent s’adapter aux réalités nouvelles de la guerre moderne et de la mobilisation nationale. S’il ne figure pas parmi les généraux les plus célébrés aujourd’hui, son nom reste indissociable de la bataille de Coulmiers et de l’honneur retrouvé en 1870 – une raison suffisante pour le redécouvrir dans toute la richesse de son itinéraire.

Louis d’Aurelle de Paladines

Portrait du général Louis d’Aurelle de Paladines, avec ses décorations de Grand-croix de la Légion d’honneur et de Médaille militaire (gravure d’époque).

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